LE FIL DE L’HISTOIRE QUI SE TISSE À LA MAISON FORTE DE MALRIGOU RÉSONNE TERRE ET PIERRE. SON ÉCHO SE MIRE DANS UN ÉCRIN DE VERDURE ACCORDÉ. LE BRIN INITIAL, PRÉSERVÉ, S’EST CHAMARRÉ, DEPUIS LE XVÈMESIÈCLE, DE SAGACES TOUCHES CRÉATIVES. AU PLUS PROCHE DE NOTRE PRÉSENT, POL CHAMBOST, CÉLÈBRE CÉRAMISTE VISIONNAIRE ET SCULPTEUR Y A ÉLU DOMICILE POUR POURSUIVRE SA CARRIÈRE, SUCCÉDANT À SERGE ROYAUX, AUTRE CÉLÉBRITÉ QUI A APPORTÉ À CETTE TOUCHANTE DEMEURE SON EMPREINTE DE DÉCORATEUR, À LA FOIS FONDATRICE ET JUSTE. PHILIPPE CHAMBOST, LE FILS DE POL, FERVENT AMOUREUX DE L’ŒUVRE DE SON PÈRE ET DE SON LIEU DE VIE, Y PERPÉTUE HISTOIRE ET CRÉATIVITÉ EN HARMONISANT ESPACES ET JARDINS OÙ L’ON (RE)-DÉCOUVRE RÉGULIÈREMENT DES COLLECTIONS DE CÉRAMIQUES CONTEMPORAINES, SCÉNOGRAPHIÉES AVEC FINESSE.

« J’ai redessiné les chemins tôt ce matin, votre balade ne vous mouillera pas les pieds… » : cette attention généreuse est offerte aux visiteurs du jour, une rédactrice locale… et le scénariste du Périgord Raid Aventure* venu s’inspirer pour découvrir la fulgurante énigme que le lieu tentera de dissimuler en son sein face à la perspicacité de la jeunesse galopante estivale.

Philippe, en élégant amoureux de la nature, organise son jardin en y préservant… la vie et en y invitant… la vie. Lorette, douze ans, et Samy, quatorze ans, les enfants de « Saint Jean » – comme aime à nommer Philippe son lieu, plus connu sous le patronyme de Domaine ou Hospice de Malrigou – conviés à partager nos échanges ont le sourire muet aux lèvres quand je souhaite connaître ce qu’habiter ici fait la différence pour eux.  Une évidence s’échappe et file entre les cordes vocales de Samy : « Ici, il y a de l’espace, c’est vraiment grand ! » Oui, tout est résumé en ces quelques mots empreints de fraîche tendresse et de vive sagacité. Grand ! Grand par le fil de l’Histoire, Grand par l’étendue du paysage savamment aménagé, Grand par la force de l’humble ambition, Grand par la joie d’un projet toujours en gestation.

L’historique du lieu, fait de hasards sans hasard, de successions ampliatives de projets qui se combinent, Lorette et Samy en tracent encore une fois l’essentiel dans le jeu du jour « écrire sur son lieu de vie » : « Aujourd’hui, Ambre est venue nous questionner sur notre maison avec son jardin qui appartenait à nos grands-parents. Ces derniers ont acheté cette maison datant du XVème siècle en 1965. C’était le décorateur Serge ROYAUX qui la possédait et c’est grâce à lui que cette cour à la française existe avec ses plantes esprit XVIIIème. Il achète cette maison après la seconde guerre mondiale après s’être replié en Dordogne. Il réaménage l’extérieur pendant des années avant de la mettre en vente en 1964. Pol et Irène, souhaitant quitter la région Parisienne, séjournent en Provence à la recherche d’une maison de caractère. Sur le retour, ils font un détour par le Périgord. C’est donc grâce à un agent immobilier de Périgueux qu’ils trouvent cette demeure. Notre grand-père décède en 1983 et c’est donc notre grand-mère qui garde la maison seule tandis que notre père est à Périgueux. Lors du décès de sa mère, en 1999, notre père vend sa maison et retourne habiter à Saint-Jean d’Estissac. En 2001, notre père effectue des travaux extérieurs : il crée des massifs et aménage le potager en écoutant les conseils de décorateurs ainsi que la nature. Ce havre de paix est entouré d’un jardin très vivant grâce aux différents animaux et insectes qui nichent dans la flore omniprésente. »

En recherche de tranquillité, d’un refuge pour poursuivre une riche contribution à l’histoire de la céramique française…

Un décorateur qui migre… pas si loin… d’un lieu qu’il a patiemment mais durablement marqué de son empreinte faite de réaménagements respectueux et de reconstructions comme celle de la tour d’accueil, une empreinte également faite d’ouvertures lumineuses de la grange – futur atelier, et d’aménagement du jardin à la française avec des essences, en résonnance aux grandes tapisseries d’époque, encore en épanouissement aujourd’hui…

Un artiste, Pol Chambost (1906-1986), sculpteur-céramiste-designer de renom, le grand-père de Lorette et Samy, en recherche de tranquillité, d’un refuge pour poursuivre une riche contribution à l’histoire de la céramique française, tout en s’adonnant à un ressourcement que seule la Nature sait offrir…

Une rencontre orchestrée par le grand mystère de l’Univers entre deux êtres qui se connaissent, en fait, déjà : Colette Gueden, brillante animatrice de l’Atelier d’Art des Grands Magasins du Printemps qui avait déjà insufflé cette primeur grâce à Primavera, où Pol, céramiste fétiche de la maison, et Serge, le décorateur en vogue, se côtoient.

Une histoire dans l’histoire qui fait histoires, un enchâssement de vies dans ce qui l’abrite : la maison ! Et cette maison-ci ne se lit pas indépendamment de son environnement. Philippe engage à prendre de la hauteur pour voir plus grand… invite à consulter la photographie aérienne du domaine qui atteste du cocon de verdure dans lequel baigne et est sertie la pierre…. Et la pierre à l’édifice que le nouveau propriétaire apporte avec tout autant de patience et de persévérance – dès le petit matin à l’œuvre ! – s’esquisse et se peaufine, heure après heure, dans la lente sculpture de la Nature. Une Nature qu’il souhaite leste, libre, authentique, où ce qui est pensé pour elle demeure discrètement évident. Une subtile liaison directe entre le lieu de vie, écrin du travail artistique de Pol, les paysages et cette chère forêt que, dès l’âge de quatorze ans, il a su préserver en grande partie de l’invasion du pin.


Avec pour seule ambition la vie, une passion de la flore, une activité professionnelle tournée vers le soin et l’amélioration de l’espace de mouvance, l’histoire à raconter en bandoulière, Philippe est dans ce besoin impérieux d’être dans du concret, du palpable qui fait du bien. L’école du faire est couplée ici à celle du mieux-être. Venir se délecter en dilettante de ses efforts motivés et soutenus par ses plaisirs réunis est une chance ! Trois sources unies et composées en un seul lieu et une seule époque : un bâti habillé par un décorateur, une œuvre et, sur un de ses lieux d’émergence, un camaïeu de verts orchestré par sa spontanéité. Pour Philippe, l’identité du jardin, de son jardin, doit autant à l’intervention humaine qu’à sa verve impulsive.

Le positionnement qu’il a adopté à la reprise du domaine en 1999 est très clair : retrouver un paysage voulu par le Décorateur en phase avec ses propres aspirations d’ouvertures, recréer le potager en couleurs, traditions et savoir-faire locaux, structurer le reste du domaine pour y favoriser la vitalité faunistique, et faire lien avec la vie de la céramique actuelle au-delà de l’œuvre pourtant chérie de Pol. Ainsi nous pouvons virevolter, à l’instar des nombreux papillons captivés par le lieu, entre les différents espaces et univers et combiner notre visite à celle très décontractée de chevreuils, vivre la dérobade d’un hérisson, entrapercevoir le panache d’un renard, laisser nos oreilles dans l’intrigue du bruissements de la cétoine alors que nos yeux s’émerveillent, médusés par leur robe chamarrée… se laisser surprendre par ce qui s’offre encore au détour d’une courbe du relief dont l’étude attentive et volontaire reste imperceptible pour la plupart d’entre nous. Nos sens, eux, en reçoivent pourtant directement l’information, touchés par l’intention teintée du respect profond de ce que Dame Nature dicte elle aussi. Ces imposantes corolles de lierre qui se sont invitées cette année au cœur d’un parterre au vert plus douçâtre acceptées avec joie, tendresse et étonnement. Chaque année, les alliages sont renouvelés. Un secret ? « Ne pas violenter la Nature mais créer en observant ». Beaucoup d’implications, d’interventions, toujours en présence assidue, à l’écoute. La vigne vierge, pour ne citer qu’elle, ne concède aucune baisse de vigilance.

L’intensité d’attention au jardin trouve son égal chez celle portée à la collection de Pol mais également à celle dédiée à la dynamique de la céramique actuelle. Philippe, en vrai collectionneur, est de tous les évènements et lieux à revisiter, à découvrir. Cet été, notre rencontre précède de quelques heures l’incontournable déambulation artistique de Saint Quentin la Poterie. Le fameux festival Terralha où se retrouve la création française et internationale. Philippe s’y prépare avec enthousiasme avec ses enfants. Il y remarque souvent de jeunes créateurs qui se font vite un nom grâce à lui, à la faveur d’une résidence à « Saint Jean », d’une invitation, d’une participation à un projet dont il a souvent été l’instigateur ou par l’entremise d’une simple prescription. Son engagement dans le soutien à la création contemporaine et à l’histoire de la céramique est à l’image de ses autres projets et de ceux des propriétaires prédécesseurs du lieu : époustouflant ! En cette fin d’année, nous aurons le plaisir de feuilleter – voire d’acquérir – le catalogue, édité localement ! Dans cette future édition, Philippe partage aussi l’exposition stupéfiante de l’été qui a retracé soixante-dix ans de céramique française, en association avec deux autres fervents collectionneurs, Arnaud Serpollet et Pascal Marziano.

Le reste de l’année, nous pouvons voir et revoir – comme le jardin, la saveur se ravive – les créations de Pol Chambost. Impossible de rester impassible devant notamment ses œuvres en trompe-l’œil, qui ont renouvelé l’art de la table, dont ses fameux « bleus chinois » made in Dordogne. La duperie donne envie de toucher mais non ! tout ici est en faïence… pas besoin de vérifier, ce n’est ni du cuir, ni du bambou, ni de la nacre. Amoureux des textures, attachés autant au rendu, mat brillant moiré… qu’à la forme, nous n’oublierons pas que Pol reste une figure principale de l’histoire de la céramique !

Philippe est également, entre autres, le protagoniste du catalogue des créateurs Dorothée Coriquet et de Bruno Desplanques qui a connu ses prémices de jeune céramiste à « Saint Jean » sous l’impulsion et l’inspiration de Philippe.  Le concours des Cabanes en Villamblardais en 2014, vous en souvenez-vous ? Il passe et se passe par ici aussi… Un aveu : trop peu de place au creux de ces pages pour faire état de tout ce que vous allez découvrir lors d’une visite qui, je pense, s’impose comme incontournable, n’est-ce pas ?


Jardin de Malrigou
24140 Saint-Jean d’Estillac – 06 13 26 19 39
Accès A89, sortie 13, Mussidan-Bergerac
www.polchambost.fr