Grand nom de la mode parisienne durant les années trente, Jenny Sacerdote a été aussi, pendant plus de quinze ans, la propriétaire du château de Château-l’Évêque. 

Qui se souvient de Jenny Sacerdote ? « Cette créatrice a été très célèbre pendant les Années folles et au-delà, avant de tomber dans l’oubli. Pourtant, elle était aussi renommée qu’une Jeanne Lanvin et ses robes sont aujourd’hui exposées dans des musées prestigieux comme le Victoria and Albert Museum, à Londres, ou Galliera, à Paris, » explique Anne Vogt-Bordure qui a découvert l’existence de la couturière il y a trois ans, lors d’un séjour en Dordogne dont sa famille est originaire. Tout comme Jenny Sacerdote.

C’est ce qui explique que l’on retrouve aussi la trace de la modiste sous la forme d’un portrait exposé au Musée d’Art et d’Archéologie du Périgord de Périgueux.

Sur ce tableau, elle apparaît vêtue dans le style qui va la rendre célèbre à partir de 1910, année de la création de sa maison de couture parisienne. Cette silhouette « à la Jenny », comme on l’appellera, est reconnaissable à ses robes droites où la taille n’est pas marquée, parfois décorées de perles mais, au final, très sobres. « Jenny a réussi à créer une allure simple et efficace car confortable. Elle était très inventive comme, par exemple, quand elle va détourner des fichus pour les nouer autour de la taille en guise de ceintures. Preuve de son succès, deux années de suite, en 1927 et 1928, elle remportera le Grand Prix de l’élégance », raconte Anne Vogt-Bordure, ajoutant que Jenny Sacerdote sera aussi la deuxième femme en France à recevoir la Légion d’honneur, en 1926, « pour service rendu à la mode ».

Autant de distinctions qui témoignent du beau parcours accompli par la petite Jeanne Adèle Bernard, son vrai nom, née à Périgueux le 27 janvier 1868. « Sa réussite est d’autant plus exemplaire qu’elle était issue d’un milieu très modeste », observe Anne Vogt-Bordure. 

Retour en terre natale

Qu’est-ce qui pousse Jenny à revenir en Dordogne en 1923 pour y devenir propriétaire du château de Château-l’Évêque ? L’envie de partager son succès pour montrer que rien n’est jamais écrit malgré son histoire familiale ? Son attachement à cette région où elle est née ? Très certainement un peu des deux.

Quoi qu’il en soit, elle devient la nouvelle châtelaine de cet édifice réputé pour sa tour du XIVème siècle et son portail de style gothique flamboyant. Mais ce sont les dépendances du château qui mobilisent toute son attention, et notamment les jardins du château où elle va créer une des plus belles roseraies de France.
Jenny se mue alors en une vraie jardinière à en croire ceux qui l’ont côtoyée à cette époque. Elle en tire même une grande fierté qu’elle souhaite communiquer. Chaque année, aux derniers jours de juin, elle ouvre ainsi le château aux habitants de Château-l’Évêque et des villages environnants. Ceux-ci passent les grilles de fer qu’elle a elle-même dessinées de façon à rendre hommage aux entrelacements de ses si chères roses. Le rendez-vous devient la « Fête de Château-l’Évêque ». En dehors de ces périodes, Jenny Sacerdote organise des défilés en plein air. Au milieu des roses, toujours, une estrade est réservée aux musiciens et des bancs accueillent ses invités parisiens venus découvrir les dernières créations de la maison Jenny. « L’intérieur du château conserve aussi les traces de son passage. Il y a encore des tapisseries qu’elle avait fait réaliser. Une cheminée dans la petite bibliothèque dont elle est à l’origine », glisse Anne Vogt-Bordure. 

Châtelaine en Dordogne, Jenny Sacerdote n’en demeure pas moins une mondaine parisienne qui fréquente de nombreux artistes dont les peintres Kees Van Dongen, Henri Gervex et Maurice de Vlaminck. Ou encore Jean-Gabriel Domergue, l’auteur du tableau exposé au musée de Périgueux. 

Quant au château de Château-l’Évêque, Jenny Sacerdote le conservera jusqu’en 1940. La petite histoire dit qu’elle s’en séparera afin de payer les dettes d’un mari joueur dont elle divorcera, d’ailleurs, la même année tandis que sa maison de couture ferme aussi.

Cet été, le château de Château-l’Évêque lui rend hommage, du 1er juin au 27 septembre, en accueillant quelques-unes de ses robes, des photographies, affiches, illustrations et magazines. Tout cela réuni par Anne Vogt-Bordure qui a décidé de continuer d’écrire l’histoire de la modiste en rééditant ses créations sous la signature La Suite Jenny Sacerdote.

Propos recueillis par Bénédicte Jourgeaud


© Propriétés du Périgord – Photos du château : © CHÂTEAU DE CHÂTEAU-L’ÉVÊQUE, Photos du tableau : © COLLECTION VILLE DE PÉRIGUEUX – MUSÉE D’ART ET D’ARCHÉOLOGIE, PORTRAIT DE MADAME JENNY, 1923 PAR J-G DOMERGUE – © B.DUPUY – PLANCHES DE MODÈLES DE MADAME JENNY © DROITS RÉSERVÉS.