Marie Pierre des Ruelles

« C’est pour vous ou pour offrir ? »

Livres… librairie… lecteurs… bibliophiles… bibliothèques… du bois au bois…

De la pâte à papier au support qui accueille nos choix de lecture, il y a le bois en partage ! Autant le choix de ses essences importe pour ses fonctions de soutien, rangement, exposition… autant sa texture est terre d’accueil pour ces lettres se mixant à l’infini pour nos plus subtils plaisirs des sens.

Marie-Pierre, amoureuse des mots qu’elle apprécie, bien entendu, tactiles et incarnés dans ses fibres, n’imaginait pas les supports des choix de lecture qu’elle nous soumet comme de simples rayonnages sans âme… Bibliothèque sur mesure sortie d’un atelier périgourdin, en bois – pour la main, le nez et le cœur – meubles chinés ou autres mobiliers détournés se prêtent au jeu de présentoirs, loin du conformisme impersonnel. Tout ici tend à une cohérence et invite à la découverte de la diversité, d’une diversité. Qui peut prétendre à être exhaustif, complet ?

Ici, ça tire au cœur, ça attire le cœur !

Pas Marie-Pierre ! Elle se positionne en complémentarité. Ni bandes dessinées ni romans de science-fiction ni littérature de jeunesse non plus car d’autres libraires indépendants de la ville s’y emploient avec grâce et passion.
Au questionnement sur un fonds de bibliothèque primordial, sa réponse est catégorique : il n’y en a pas ! Pour Marie-Pierre, une bibliothèque se constitue au fur et à mesure, pas à pas, au fil des strates de sa vie. Elle se modèle selon nos métamorphoses ou nos précisions. Elle correspond tellement à chaque personnalité que l’idée-même d’un fonds de bibliothèque primordial lui paraît saugrenue. La version premium ? la version idéale ? elles n’existent pas ; notre bibliothèque ne vit que de choix et de liberté. A chacun ses orientations, ses inclinaisons…
Si le legs, l’héritage ont pu constituer un patrimoine cessible, attendu, il est courant aujourd’hui de retrouver en salle des ventes des pans entiers de livres issus de bibliothèque de famille. Ce qui a présidé à la décision des nouveaux propriétaires : le manque de place ? la volonté d’affirmer sa personnalité ? un enclin irrésistible à une facture plus contemporaine ? Cette séparation arrache-cœur ou d’une légèreté insoutenable fait le bonheur du bibliophile, du collectionneur, de l’amoureux du livre ancien, de l’érudit curieux qui en un coup d’œil dans le catalogue dit « domestique » qui décline l’étendue de la vente se délectent du profil de lecture des propriétaires, de l’évolution de leurs préoccupations car tout y est référencé, daté… enfin tout ce qui est mis en vente… les livres sulfureux, ceux situés dans le haut des bibliothèques, dans l’ « enfer de la bibliothèque » restent souvent confidentiels, non portés au recensement.

De la bibliothèque legs à la bibliothèque constituée de trouvailles et fines recherches de bibliophiles aguerris à la bibliothèque coup de cœur, échafaudée le nez au vent, l’on emprunte aujourd’hui le chemin de la bibliothèque partagée, celle qui se constitue sur son territoire professionnel, celle qui se compose dans son cercle de passion, dans son club de sport, dans son centre de pratique méditative, de permaculture ou ailleurs… La bibliothèque s’évade de sa pièce réservée ; elle investit la chambre d’enfant, l’entrée, l’escalier. Elle se disperse par genres dans la maison, le livre circule, s’échange, tourne dans un club de lecture ou sur la place publique dans une « boîte » dédiée.

Pour Marie-Pierre, peu importe comment se fait l’accès au livre, l’important est de lire ! Avec un constat étrange : aujourd’hui, il est plus facile de se nourrir intellectuellement que de se nourrir tout court…

Au gré de nos fouilles, nos bibliothèques débordent de moins en moins car le plaisir du don ou de l’échange l’a désengorgée. Quel bonheur, lors de ses visites, de s’étonner de notre propre parcours de lecteur ! Un sujet pour lequel l’on ne porte plus d’intérêt peut correspondre à l’appétit d’un autre curieux. Alors faisons circuler et retrouvons le plaisir de pousser la porte de la librairie pour raviver nos rayons et rayonner. Marie-Pierre envisage la lecture à la fois comme une nourriture qui une fois diffusée en nous peut se distiller en connaissances, réflexions partagées mais également comme un chemin d’humilité car ce qui se révèle à nous, c’est bien l’ampleur et l’infini de ce qui reste à découvrir…

C’est sans fin sans faim, comme une gourmandise qui prend son temps pour se faire déguster. Un plaisir si facile si simple n’importe quand, n’importe où, sur un temps infime comme extensible : magique. L’important pour cette libraire, pourtant très affairée à faire des découvertes à partager, est de prendre son temps, de garder cette attache qui rime avec liberté et plaisir pour soi.

Un engagement, une posture au-delà de son affirmation, qu’elle vit, qu’elle incarne dans ses propositions qui sont offerts à nos yeux et à nos cœurs. Des coups de cœur en résonnance. Qu’il s’agisse de littérature, de récit de voyage, d’ouvrage érotique, du fonds Périgord, d’ouvrage de cuisine, de poésie… l’attention est portée au texte, à l’indépendance de l’éditeur, et à l’actualité culturelle locale qui inspire aussi la composition de ses tables thématiques sans cesse renouvelées.

Une curiosité et un insatiable élan, déjà présent enfant, où elle avoue avoir « chapardé » des livres dans la bibliothèque parentale, l’invitant au voyage – happée par les mots dont le secret ne s’évaporait pas toujours par l’emploi du dictionnaire.

Ici, nous l’avons détecté, nous ne trouverons pas la liste de ce qui doit constituer notre fonds de bibliothèque selon notre profil type mais bien une écoute attentive, des fins conseils et de pourléchantes incitations, vous êtes prévenus !

Pas d’indispensable, pas de primordial, pas de constitution type mais un éventail de coups de cœur, une attention particulière aux éditeurs indépendants, livrés à nous par un souhait de partage.

Et parmi tous ces coups de cœur, un en particulier ? la tocade du moment ? Un aveu de petit béguin pour « La Falaise des fous » de Patrick Grainville, plongée dans l’émergence du mouvement impressionniste fin du XIXème siècle et de ses résonnances avec le milieu littéraire de l’époque … Pas étonnant … Deux passions de Marie-Pierre réunies… Une idylle persistante pour les beaux ouvrages, récits de voyage de la maison d’édition Bordelaise Elytis. Et encore ? Des coulisses de badinage colorées de jeux du hasard (?), de destins (!) aux éditions Format Poche et de voyages empreints de liberté et de délicatesse, en naviguant dans les univers de la collection Piccolo des Editions Liana Levi ou ceux des Editions Libreto ou Gallmeister. D’autres confidences possibles à qui en aura la curiosité…