Les compagnons du devoir sont depuis des siècles reconnus pour la qualité de leur travail et estimés pour leurs valeurs humaines. Le magazine Propriétés du Périgord a décidé de mettre en lumière ces artisans méritants à travers des chantiers d’exception représentatifs de leur talent. Découvrez ici le premier volet de cette nouvelle série, à suivre dans les prochains numéros…

Pour les compagnons du devoir, les chantiers d’exception sont souvent la règle. Denis Glemin, charpentier émérite, orchestre la rénovation des écuries du château de Beynac. Un défi architectural complexe, qui incarne bien les valeurs et l’ambition portées par cette communauté ouvrière. Visite de chantier sur fond d’un décor parmi les plus beaux de Dordogne.

Il est des projets exceptionnels, qui nécessitent des compétences exceptionnelles. Reconstruire les écuries d’un château médiéval, haut lieu de la Guerre de Cent ans, fief de Richard Cœur de Lion, en fait partie. Dans la cour de la forteresse de Beynac, le grand bâtiment qui jadis abrita des chevaux, ouvert à tous vents depuis un incendie au XIXe siècle, est en train de renaître. D’ici quelques mois, il hébergera l’accueil, un auditorium et une salle d’exposition, bien loin du fracas des sabots qui résonnait quelques siècles plus tôt.

Le défi était de taille, notamment sur la partie charpente, car il fallait recréer entièrement la toiture. Les photos parlent d’elles-mêmes. Trente-et-un chevrons de douze mètres de long qui s’élancent vers le ciel et huit mètres plus bas, sept poutres de bois monumentales de dix mètres (les entraits de ferme), taillées dans un seul tronc d’arbre, du chêne de la meilleure qualité trié sur le volet. Elles sont ouvragées, ornées de moulures dans un style XVIe siècle, époque de construction des écuries. Le tout a été réalisé dans les ateliers, puis acheminé élément par élément avec un petit camion, en raison de la difficulté d’accès au site. Une opération délicate.

La technicité et la complexité d’un tel chantier en font un bel exemple des prouesses réalisées par les compagnons du devoir. Rien d’étonnant à ce qu’il soit entre les mains de l’un d’entre eux : Denis Glemin, responsable charpente aux Ateliers Férignac de Hautefort. Âgé de 56 ans, il a intégré l’entreprise quand il en avait 24, à l’issue du tour de France réalisé dans le cadre de sa formation chez les compagnons. Pendant près de dix ans, celui qui n’était au début qu’un adolescent a exercé dans dix-sept entreprises aux quatre coins du pays. Cette étape incontournable, à vocation initiatique, a été « un apprentissage professionnel et également moral », raconte Denis. « On apprend de chaque entreprise, de chaque région, et surtout on apprend du caractère des gens. On peut maîtriser la technique, mais l’humain c’est 80% du travail. »

Pour ce projet hors normes, il a échafaudé toutes les solutions, en lien avec le propriétaire. Il lui a fallu se plonger dans l’histoire des lieux, dans des livres et relevés d’architecture anciens, et étudier les traces visibles pour recréer avec ses quinze ouvriers une charpente fidèle à l’origine. Cette remarquable cathédrale de bois est aujourd’hui invisible, recouverte par une voûte. La facette ingrate du métier ! « Nous seuls savons ce qu’il y a dessous. On fait de belles charpentes, mais elles sont souvent cachées. Ce n’est pas un travail qui est montré », sourit Denis. Outre la voûte d’aspect plus contemporain, un plancher a été posé pour créer un étage, et un escalier clôturera le chantier d’ici la fin de l’année, toujours signé des Ateliers Férignac. La surface des bois est travaillée à la chaux pour donner un aspect ancestral. « Faire » de l’ancien en respectant les normes actuelles d’accueil du public n’était pas une équation facile, mais elle a été résolue grâce à la maîtrise et à l’imagination dont savent faire preuve les compagnons. « Souvent, on s’aperçoit qu’on arrive à gérer les problèmes avec simplicité. »

Cette remarquable cathédrale de bois est aujourd’hui invisible, recouverte par une voûte. La facette ingrate du métier !

Denis Glemin

De son statut de compagnon, Denis tire de la fierté, mais pas de gloire. L’humilité est une valeur fondamentale de la communauté, au même titre que l’entraide, l’ouverture aux autres, le respect, la discipline et la transmission des savoir-faire. Bien qu’associés à l’excellence, les compagnons n’aiment pas beaucoup ce mot. « Il y a des gens qui travaillent très bien en dehors du compagnonnage. On n’est en rien meilleurs que les autres. Comme on est sensibles à conserver la tradition et au travail bien fait, on a tendance à toujours vouloir le haut de gamme », recadre Denis. Si excellence il y a, elle n’est pas le fait d’un individu mais d’un réseau, d’une équipe. Dans la philosophie des compagnons, c’est grâce aux autres que l’on se perfectionne, tout au long de sa carrière. « Si je n’avais pas connu le compagnonnage, je n’aurais jamais autant évolué dans le métier que j’ai choisi. Je ne serais peut-être resté qu’ouvrier dans une entreprise lambda », hasarde Denis. Non seulement ce choix de vie lui permet d’apporter sa pierre (ou plutôt sa planche) à des édifices exceptionnels, mais il lui a surtout permis de découvrir de quel bois lui-même était fait.


À PROPOS DE L’ENTREPRISE

Créés en 1929, les Ateliers Férignac réalisent des ouvrages sur mesure en charpente, ébénisterie, menuiserie et agencement. Spécialisée dans la restauration du patrimoine, l’entreprise basée à Hautefort conçoit également des créations originales (mobilier, boiseries, agencements, escaliers…), en mêlant tradition et innovation.


DENIS GLEMIN

Originaire de Nantes (44), Denis Glemin a intégré les compagnons du devoir à l’âge de 15 ans, passionné par le travail du bois. Dans le cadre de sa formation, il a effectué un tour de France de près de dix ans. C’est au cours de cette itinérance qu’il a découvert les Ateliers Férignac. Il a intégré définitivement l’entreprise en 1989 et a été promu responsable de l’activité charpente l’année suivante. De la phase d’étude à la réception, il orchestre une équipe de quinze personnes en partie issues du compagnonnage. Sa grande expérience fait de lui une référence dans le milieu de la charpente, dans la région et au-delà.


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PAR MAÉVA LOUIS
© PHOTOS CHANTIER DENIS GLEMIN – © PORTRAIT LAURENT PAREAU