Riche, très très riche, élégant, raffiné, mélomane, virtuose, compositeur, chanteur à ses heures, mécène, collectionneur, globe-trotteur, parfois fantasque, assurément inclassable : nul doute que Patrick de Brou de Laurière, né à Périgueux en 1928, fut un homme d’un autre temps, un homme aux mille facettes, autrement dit un authentique personnage de roman…
C’est parti mon dandy ! Mais avant tout, pour celles et ceux qui ne connaissent pas la géographie des lieux, sachez que la Côte de Paris est cet axe principal qui descend des hauteurs du nord de la ville de Périgueux pour se jeter dans la cuvette du centre ville (axe officiellement baptisé avenue Georges Pompidou… mais bon, pour les locaux, l’appellation présidentielle est bien moins belle, en tout cas, elle fait moins voyager). Vous y êtes ? Bien, vous voyez donc tout en bas de cette côte de Paris, le magnifique hôtel particulier qui trône au milieu de son parc, tel un petit Versailles local… Il en jette… Et bien figurez-vous que c’est ici dans cette majestueuse demeure construite en 1900 et classée aux Monuments historiques que Patrick de Brou de Laurière a passé son enfance, c’est ici qu’il revenait régulièrement pour des séjours estivaux, c’est sur la colline qui surplombe cette demeure, au cimetière nord de la ville de Périgueux, qu’il repose désormais en paix depuis plus d’une dizaine d’années…
Patrick ! Qui était-il ? Vaste question… Héritier d’une famille aristocratique du Périgord et d’une dynastie industrielle, il n’avait pas ce besoin premier que l’on nomme trivialement le « travail »… Oui, certains ont cette chance… il l’avait, il en a amplement profité. « La plus belle réussite d’un dandy est l’emploi de son temps, et non de son argent (…) Son chef-d’œuvre est sa liberté, l’acquisition de sa liberté. » Cette citation de Michel Onfray, Patrick de Brou de Laurière aurait pu la faire sienne… “ Que viva la libertad ! ” La liberté de traverser le monde pour aller écouter un opéra de Puccini, faire un crochet par la Scala de Milan ou se rendre ensuite au festival de Bayreuth pour écouter du Wagner… Mélomane, faut savoir qu’il était également un virtuose du piano, avec une prédilection pour les œuvres de Poulenc ou de Debussy… mais aussi un orfèvre en déchiffrage de partitions musicales complexes. Cette passion pour la musique, pour les opéras, a d’ailleurs fait de lui un élève de Nadia Boulanger, professeure – excusez du peu – de compositeurs tels que George Gershwin, Leonard Bernstein, Michel Legrand, Quincy Jones ou encore de Philip Glass : pas à proprement parler des demi-pointures !
La liberté, assurément, la richesse également, cela va souvent de pair… Cette richesse, mère de toutes les extravagances, comme celle de posséder un hôtel particulier avenue Frochot à Paris. L’avenue privée des millionnaires comme ils disent là-haut à la capitale… mais coquetterie de Patrick, sa demeure – qui avait un temps appartenu à la chanteuse Sylvie Vartan – était semble-t-il hantée ! Il pouvait également se rabattre sur une autre demeure qu’il possédait à Tanger au Maroc, non sans avoir oublié de voyager avec sa précieuse vaisselle de porcelaine – oui, oui, comme aux temps jadis où la cour de France était itinérante… La villa Marcelle, sur les hauteurs de Tanger, c’est ici que « El dandy del monte » comme le surnommait affectueusement le duc de Tovar, donnait des bals d’un autre temps… Avec un goût prononcé pour le déguisement, Patrick y apparaissait en empereur de Chine pour une soirée Puccini, ou affublé – noblesse de robe oblige – du costume de son ancêtre qui n’était autre que l’écuyer de la reine Marie-Antoinette… Soirées Mozart, soirées Verdi, Wagner, Strauss ou encore Puccini, étaient souvent des prétextes aux déguisements fastueux… Costume avec hermine, manteau de velours d’Utrecht, habits de soie, jabots en dentelle, tiares et autres couronnes d’opéra, les hôtes de marque y déboulaient en grand apparat… des fêtes où l’on pouvait croiser Tennessee Williams, Paul Bowles, la grande duchesse de Russie, des princesses, des baronnes excentriques qui par accès de colère brûlaient dans les cheminées la correspondance qu’elles entretenaient avec quelques artistes un tantinet amoureux : Morand, Céline, Brancusi, Mac Orlan… Tout un monde… un tout autre monde…
Fantasque, flamboyant, anticonformiste, capable comme tous les grands timides de moult excentricités… il n’en demeure pas moins que Patrick était également un homme d’une grande simplicité… Abordable, attachant, sensible aux choses les plus communes, il pouvait rester solidement planté dans un pré pour admirer de simples vaches laitières au fin fond du Cantal… on imagine le bucolique de ces face à face : observer les arbres fruitiers en fleurs, écouter les oiseaux avec enchantement… « C’était un homme très généreux, qui n’essayait jamais d’en mettre plein les yeux »… Les témoignages sont légion pour décrire un homme amène et bienveillant… humilité, générosité, absence de vanité… un homme qui donnait de sa personne, apte à remplacer au pied levé l’organiste de la cathédrale Saint Front à Périgueux pour rendre service à la paroisse, un homme capable de tout bonnement prendre en stop un jeune couple de mariés – oui, il fut un temps où les jeunes levaient le pouce au bord des routes – et leur offrir ensuite le champagne chez lui… Pour preuve ultime de cette générosité, ce grand mécène, sans héritier, a crée un Fond de Dotation qui finance la recherche médicale. Bref, un dictionnaire raisonné de la gaieté et de la curiosité serait forcément incomplet pour cerner et embrasser toutes les facettes de cet esthète disparu à l’âge de quatre-vingt deux ans…
Par Phoebe Delune
© Collection privée Jean-Jacques Giraud