Dans le village de Hautefort, résonne depuis près de trente ans le fracas du marteau sur l’enclume. L’ Atelier d’œuvres de forge, dit AOF, réalise des ouvrages de ferronnerie haut de gamme pour des chantiers d’exception. Qu’il s’agisse de restauration de patrimoine, comme à la Samaritaine, ou de création d’ouvrages contemporains, l’entreprise cultive un savoir-faire ancestral en prise avec son époque. Sa reprise en 2020 par Thomas Holt lui ouvre de nouvelles perspectives. Celui-ci nous guide à la découverte de cette pépite de l’artisanat d’art, bien cachée en Périgord noir.

C’était l’événement parisien de juin 2021. La Samaritaine, temple du luxe à la française fermé depuis seize ans, rouvrait ses portes sous les flashs des photographes. Emmanuel Macron s’est même fendu d’une inauguration surprise. Dans les médias, se sont étalées les images de l’escalier monumental, signature iconographique du bâtiment, et des garde-corps Art nouveau qui courent sur les rampes et sur chaque étage. Tout le monde s’est extasié devant la réussite de cette restauration. On la doit en grande partie à une entreprise périgourdine tant renommée que discrète. En effet, c’est dans un bâtiment banal que rien n’indique, derrière l’ancienne gare de Hautefort, que la Samaritaine a repris des couleurs. Pendant sept ans, une dizaine de ferronniers d’art de l’Atelier d’œuvres de forge (AOF) ont déposé, restauré puis reposé près d’un kilomètre de gardecorps et reconstruit les délicats feuillages qui les ornaient. Un chantier à deux millions d’euros, le plus conséquent jamais réalisé par l’entreprise, pourtant habituée aux projets hors norme.

Thomas HOLT, Président Atelier d’Œuvres de Forge

« On est bien cachés et ça nous va, parce qu’on travaille sur des ouvrages qui peuvent être un peu prestigieux… », glisse Thomas Holt, le gérant d’AOF, en déambulant dans la forge. Au sol, de grosses lanternes de l’ambassade d’Italie à Paris attendent d’être restaurées. En levant les yeux, on découvre un mur des trophées atypique : des dizaines de grilles en fer alignées, une pour chaque chantier réalisé. Au fond brûle un feu dont le ronronnement est couvert par le fracas du métal. Fondée en 1994 par Nicolas Henry, un ancien des Ateliers Férignac voisins – spécialisés dans le bois, puis reprise en 2020 par Thomas Holt, AOF compte parmi les plus grosses ferronneries en France. Le geste multimillénaire du marteau sur l’enclume s’y perpétue pour créer des ouvrages d’une technicité pointue et d’une modernité futuriste. Un des plus beaux exemples ? L’incroyable escalier en lévitation du joailler Van Cleef & Arpels, place Vendôme. AOF, qui a conçu la rampe, s’est associé avec un tailleur de pierre, un verrier et un ébéniste pour réaliser cet escalier en pierre courbé d’un seul tenant, selon une méthode innovante unique en Europe.

Chantier de restauration des garde-corps art nouveau des atriums et de l’escalier monumental de la Samaritaine (2015-2020). La restauration a nécessité la dépose, la restauration et la repose de près de 800ml de garde-corps droits et rampants. Ces garde-corps sont un marqueur de l’architecture art nouveau de ce célèbre grand magasin parisien du début du XXème siècle. – © DR AOF

« Comment transposer une idée dans la matière ? » C’est la question qui passionne Thomas Holt depuis qu’il a quitté le secteur de la banque et de l’informatique. Féru de patrimoine depuis ses étés d’enfance passés à restaurer un manoir, le Parisien de trente-sept ans a eu un « coup de foudre » avec le fer lors d’un stage chez un coutelier. Il s’est alors formé au métier de serrurier-métallier puis de ferronnier. Tandis que le premier travaille la matière à froid sans la transformer, le second la façonne à chaud, doté d’un pouvoir de création illimité. La ferronnerie représente 7 % du marché de la métallerie-serrurerie en France, mais 40 % de l’activité d’AOF. Fascination que de voir ce matériau d’une résistance extrême se plier à la volonté humaine pour donner naissance à une courbe parfaite. « Il faut avoir passé des années à l’enclume pour comprendre le geste », affirme Thomas Holt, arrivé en 2013. Pour le maîtriser, il a, entre autres, suivi une formation de quatre ans chez les Compagnons du devoir, dont il accueille chaque année des apprentis, fidèle à leur valeur de transmission.

L’exigence et l’audace d’AOF lui valent des commandes exceptionnelles. L’atelier ne travaille quasiment que pour des clients privés entre Paris et Bordeaux, les commandes publiques s’étant taries au même rythme que les budgets – la dernière étant la recréation des grilles du Sénat, en 2015. En Dordogne, où il intervient très peu, on lui doit la restauration des ferronneries XVIe du château de Biron. C’est que le fer est un matériau onéreux et la ferronnerie d’art, un marché de niche, pour ne pas dire de luxe. AOF a ainsi pris part à la construction de la demeure estimée la plus chère du monde par le magazine Fortune en 2017 : un somptueux château façon Louis XIV à Louveciennes, acquis par l’héritier du trône saoudien pour 275 millions d’euros !

Escalier VAN CLEEF & ARPELS. Fabrication d’une rampe débillardée sur mesure pour l’escalier monumental en pierre post-contraint pour la nouvelle boutique VAN CLEEF & ARPELS, Place Vendôme à Paris (2016). – © DR AOF

L’Atelier d’œuvres de forge a été sacré Coup de cœur des Prix de l’économie NéoAquitains en 2021. Thomas Holt entend l’orienter vers davantage de création pure. Un déménagement dans des locaux plus spacieux est en vue, toujours à Hautefort, ce qui ouvrira de nouvelles perspectives pour traiter de gros volumes. Mais c’est aussi à l’étranger, où il a déjà réalisé quelques chantiers, qu’AOF rêve désormais de se forger un destin.


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Par Maéva Louis
Photos : © Anne-Sophie Nival