Avoir tiré le diable par la queue, dormi à la belle étoile pour in fine devenir millionnaire à foison, mécène et châtelain en Périgord… Imaginez-vous un tel parcours de vie ?

Tom Van Der Bruggen. Pas à tortiller, il est des patronymes qui ne trompent pas, des patronymes qui fleurent bon la patrie de Rembrandt de la bicyclette et de la mimolette. Néerlandais de naissance, hexagonal de cœur, notre Tom semble tout droit sorti d’un film hollywoodien. Flash-back.

La vie rêvée de Tom

Fin des sixties. Antiquaire à la Haye, notre Tom s’entête encore et toujours avec son rêve de gosse  : celui d’être, un jour, châtelain. Entendons-nous, châtelain de standing, pas de ceux qui, lorsqu’ils s’emmerdaient dans leur donjon, brandissaient l’épée et estropiaient tous les alentours pour glaner quelques pâturages et deux ou trois biquettes. Non !

Lui sera châtelain de convivialité… un délicieux Médicis Batave. Aussi, comme pour les gosses qui rêvassent dans leurs cabanes, le rêve va à coup sûr devenir réalité… pour peu qu’on se bouge. Ni une ni deux, Tom bazarde sa boutique d’antiquaire, évalue le pactole et décide d’aller construire ses nobles rêves en France.

Des copeaux plein les cheveux.

Direction l’Aveyron. Tom s’entiche d’une ruine ensevelie par l’abandon. Un rêve devenu réalité. C’est un autre rêve qui débute… voire un rêve qui coulisse vers quelques sueurs froides. Restaurer une ruine durant dix-huit années ! L’avez-vous déjà fait ? On a l’impression que ça n’avance pas, même qu’on se demande parfois ce qu’on fout là. Moult petits boulots pour financer le vaste projet… Face à l’ampleur d’un tel chantier, Tom doit composer et également trouver des solutions. Là, est son génie. Pas de logiciel 3D à l’époque, pour l’aider dans la conception du chantier, il modélise son futur château en confectionnant des petites planchettes de bois qu’il rabote à qui mieux mieux. Il fout des copeaux de partout… pas grave, ça fera du petit-bois pour la cheminée.

Toujours est-il que par ricochet, ces fameuses petites chevilles ouvrières de grumes que l’on assemble sans limite deviendront par la suite la matrice de son célèbre jeu qui transformera des millions d’enfants en véritables bâtisseurs. Le jeu Kapla est né…

Moi, j’invente. On ne peut rien y faire, on ne peut pas m’empêcher d’inventer.

Le vagabond céleste.

Oui, mais encore fallait-il pouvoir commercialiser le concept. Au début, faut dire qu’on le foutait carrément à la porte. «  Non mais monsieur ! À quelle époque vivez-vous ? Y a même pas de piles dans vos joujoux… pire : y a pas d’écran !  » En attendant de trouver preneur, sans le sou, c’était quelque peu la dèche pour Tom que de faire la tournée des centres commerciaux hexagonaux et tenter de placer le joujou. Modifier ses axes de pensée, c’était la clef… Miser sur les valeurs intrinsèques du jeu. « Kapla stimule la créativité, la concentration et la faculté d’adaptation de l’enfant ». L’Éducation Nationale s’y intéresse  ; de fil en aiguille, la ville de Paris lui achète mille boîtes de Kapla  ; L’Élysée emboîte le pas : trois cents boîtes pour son Noël… Bingo et double salto arrière. Tom vend son château aveyronnais. Une mise de départ, un trésor, dont il va se servir pour financer le développement de la future et florissante société Kapla basée en Gironde…

Kapla stimule la créativité, la concentration et la faculté d’adaptation de l’enfant.

Les rêves sont des réalités.

Aujourd’hui ? Pas encore octogénaire  : à la cool, tout roule. Avec le succès mondial des jeux Kapla, notre ancien hippie a troqué son combi Volkswagen pour une solide Rolls-Royce et possède – entre autres – le château médiéval qui domine la cité d’Excideuil en Périgord. Château de ses rêves qui, grâce à l’épaule de sa femme cheffe d’orchestre, est également devenu l’écrin d’un brillant festival de musique classique. Mélomane, poète, curieux et mécène. Bref, si on lui pose aujourd’hui la question : pauvre ou riche ? Qu’importe ! Ses plaisirs sont inchangés : écouter du Bach et inventer…

« Moi, j’invente. On ne peut rien y faire, on ne peut pas m’empêcher d’inventer. » Son dernier truc ? Créer et commercialiser d’incroyables et fascinantes maisons de poupée… Un poète, un grand enfant, un « Rembrandt du joujou » !

Par Phoebe Delune
© Photos Guillaume Dambier